GDT - Récit (2)

J07 - Lake Louise

Repos X Frustration

Je n'ai pas très bien dormi, l'air chaud et sec me file mal à la tête. Aurél et Verena, sa compagne de route pour quelques jours, me quittent après avoir pris un déjeuner ensemble.

Les propositions d'aller randonner ne manquent pas, mais j'ai déjà du mal à marcher, alors randonner... Chaque pas est un supplice pour mes pieds. Ils ne supportent plus ces chaussures et leur marteau sur mes tendons. Mes quelques ampoules à côté, qui sèchent tranquillement, c'est presque un plaisir.

Je passe la journée à ne rien faire, me reposer, seul. Je suis dépité par cet état, frustré, d'être là, sans pouvoir vraiment bouger. En plus de ça, mon opinel que j'ai sorti hier soir au repas pour couper un peu de sauss' s'est volatilisé. A pu couteau. Pas le moral d'aller en racheter un, et de toute façon, ça ne sert à rien un couteau!

Avec tout ce temps, je lis et relis le guide de Dustin Lynx, que j'ai gardé dans ma poche frontale les 6 premiers jours. Il a d'ailleurs "vécu". Si je dois remettre les pieds sur les chemins, l'avoir bien en tête m'évitera de le prendre. 300g de gagnés!

Journée vraiment grisâtre, à tous les niveaux. Je vais traîner mes pauvres pieds au magasin de sport, voir s'ils peuvent y trouver des chaussures qui les martyriseraient moins. Y'a pas 36 solutions, il me faut protéger mes tendons. Ayant déjà des mid à la maison, j'essaie des hautes, des Salomon 4D Quest. C'est lourd. C'est mieux que mes basses mais j'ai toujours très mal. Je repars les mains dans les poches, discuter avec mes nouveaux voisins japonais.

Mon colis récupéré à The Crossing hier me sert finalement à manger ici. Mis à part quelques fruits et un nouveau briquet (pour remplacer mon couteau, haha), je n'ai rien acheté d'autre et n'ai pas modifié mon régime alimentaire, auquel je me suis bien adapté. L'idée étant de pousser le test jusqu'au bout. J'ai juste arrêté le chocolat, pas besoin d'autant de calories pour rester allongé à lire.

Dodo tôt, après une séance d'étirement, dans l'espoir de pouvoir rattaquer rapidement. J'espère que demain saura me donner un élan de motivation, le miracle nécessaire pour me remettre sur pattes, ou à défaut, le gnac pour reprendre le dessus sur mes pieds. Mais c'est pas gagné.

J08 - Lake Louise

Le doute s'est installé et ne veut pas partir. Soit j'arrête les frais là et je rentre... soit je prends ces fichues chaussures et j'essaie de continuer.
On est lundi, c'est Thanks Giving, jour férié ici. Mais tout est ouvert. Retour de bonne heure au magasin de sport, chez Wilson. Je essaye à nouveau les chaussures. Toujours douloureux, mais elles me permettent au moins de marcher sans avoir l'air d'un cowboy. Ce n'est pas pour plaire à mon porte-feuille, mais c'est pas grave. Je les prends, avec une paire de guêtre en prime. Elles me serviront bien cet hiver, et les prochains. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour abandonner là.

Passage au bureau de Parcs Canada pour modifier mon permis. L'hiver est arrivé bien plus tôt que je ne me l'imaginais. Il me pourchasse. J'avance donc mon planning de 5 jours et mais rajoute une étape au début, pour reprendre en douceur. Jusqu'à présent je n'ai marché que dans le Jasper National Park, la suite se fait dans un nouveau parc. Sac au dos, je laisse quelques affaires dans un casier ici (j'y repasse pour rentrer à Vancouver) et pars dormir à Field, à une demi-heure de voiture, pour récupérer mon second paquet de vivres et être sur place pour un nouveau départ. Un géologue français expatrié dans le nord du Québec (à qui ne n'ai même pas demandé son prénom, honte à moi) me prend en stop, sympathique bout de route en sa compagnie. Manque de bol, la seule auberge de Field est complète. Cela explique pourquoi je n'avais pas réussi à les joindre au téléphone... Et la poste, est fermée...

Les autres logements sont hors de prix. Retour donc à Lake Louise avec deux canadiens bien cools dans une Golf III capricieuse, pour ma troisième nuit là-bas. Je passe une bonne soirée avec mes nouveaux roommates, deux français, Chris et Jo, qui finissent leurs 6 mois de travail/vacances au Canada, et Haim, un vancouvérois qui me file plein de tuyaux pour mon retour sur la côte ouest. Je me permets même un Sauna, gratuit en fait dans l'auberge de jeunesse (de luxe). Ça fait vraiment du bien ET au corps ET au moral. Je me sens requinqué. Demain, je rattaque, je repars. Ça va le faaaaire!

J09 - Field - Mac Arthur CG

Autoroute X Chocolat

C'est assez ahurissant comme il suffit de peu pour démolir un homme, et à l'inverse, le remettre sur les rails. Après un méga déjeuner avec une dizaine de tartines de Nutella et deux bols de chocolat au lait, Chris et Jo me déposent de l'autre côté de la frontière provinciale, à Field en Colombie Britanique, ville principale du parc national Yoho. Je passe à la poste, récupérer mon deuxième colis (avec 5 jours d'avance mais il est là), range mes 9 jours de vivres dans le sac et prends la route à 11h. Ou plutôt l'autoroute. J'ai 10km à marcher sur la Highway 1, la trans-canadienne, pour rejoindre le trail.

Les autoroutes au Canada, c'est un peu comme nos nationales, de temps en temps c'est de la 4 voies, avec des sorties, et dès que ça tourne un peu, à la traversée d'une ville, ça devient une simple 2 voies. Et ça ne roule généralement pas trop vite, on peut donc faire du stop sur ce genre de portions. Ce que je ne fais pas. Marcher un peu sur le goudron me permet de tester la résistance de mes pieds en convalescence.

J'arrive enfin au trail au bout de 2h, en fait une piste forestière qui longe la Ottertail River sur 15km, dont pas mal de portions ont été sujettes à des glissements de terrain. Assez monotone.

Alors je mange mon Milka. J'ai embarqué 3kg de chocolat pour ce trip, les conditions sont idéales pour ça: il fait froid! J'en consomme 150g par jour et je varie les plaisirs: noisettes entières, crème de noisettes, yoghurt croustillant, noisettes caramel, biscuit caramel... Je dois même contrôler ma gourmandise. A retenir pour la prochaine fois: en prendre deux fois plus ^^

Un tétras du Canada mâle est planté sur mon chemin. Il prend un peu de hauteur à mon arrivée. Bel oiseau bien dodu, mais mon prochain camp interdit les feux.

Je débouche à la jonction avec la vallée Mac Arthur. Cette vallée est très appréciée par les grizzlis et Parcs Canada la ferme jusqu'au 15 août, date à laquelle l'abondance de baies arrive à terme. J'aurais pu arriver par cette vallée, mais elle est très peu empruntée et cela implique beaucoup de chemin à travers les buissons. Pas terrible avec ma condition physique, mais j'aurais vraiment aimé y passer.

Le camp ne se trouve pas très loin de la cabane des gardiens, inoccupée ce soir. Le ciel est dégagé, le Mont Goodsir (3567m) et son glacier sont là. L'endroit est splendide et cette cabane n'est pas là pour rien. Je m'assois et contemple le spectacle, ce jeu de lumières que m'offre le soleil en tirant sa révérence derrière ces imposants massifs.

C'est dur de se lever et d'aller chercher de l'eau en contre-bas. Un bon repas, suivi d'une petite étude des cartes, pour prolonger cet instant ici, c'est ça qu'il me faut.

Mes pieds ont bien résisté aux 23km de la (demi)journée. Chaussures lacées à mi-hauteur, ça laisse assez d'espace à ma cheville pour bouger sans comprimer mes tendons. Je les sens mais il ne m'empêchent pas d'avancer. Par contre j'ai l'impression de traîner des boulets aux pieds. La faute aux chaussures ou aux 9kg dans mon dos? La petite journée de demain devrait m'offrir un peu plus de repos. C'est prometteur.

Parcours : 23km, +520m, -220m


J10 - Mac Arthur CG - Helmet Falls CG

Chipmunk X Flûte de pan

Température au lever tout juste fraîche. Il neigeote mais ça ne tient pas. Début de la journée dans les arbres, voire par-dessus les arbres, comme très souvent sur le GDT. Je n'en sors qu'une fois au Goodsir Pass, après 2h de montée pépère. Le mont du même nom, lui, a la tête dans les nuages.

Je sors du Yoho National Park pour entrer dans Kootenay, territoire d'indigènes ayant vécu ici il y a plus de 11 000 ans. Le col offre un beau point de vue sur le début du Rockwall et sa limite nord, le Limestone Peak.

Le Rockwall est comme son nom l'indique un mur de roche vertical laissé par un glacier, qui atteint par endroits 1000m de hauteur. Le sentier serpente sur 30km au pied de ce mur, reliant trois vallées. L'étape classique consiste en une trentaine de kilomètres et 1800m de dénivelé. C'est elle que j'ai coupée en deux étant donné les caprices de mes membres inférieurs. Mais tout ça n'est qu'une introduction à la journée de demain. J'espère que le temps sera plus dégagé qu'aujourd'hui!

Un pause repas m'offre la possibilité de voir enfin ceux que j'ai entendus souvent depuis mon départ: les chipmunks (ou tamias en français). Ce sont de petits écureuils rayés, typiques de l'Amérique du nord et de la Sibérie, qui vivent dans des galeries souterraines. Tic et Tac, en chair et en os!

Les grizzlis les apprécient particulièrement, et ont recours à des techniques de barbares pour les attraper: ils cherchent une entrée et creusent jusqu'à trouver le rongeur, avec comme résultat, de beaux champs de bataille!

Je reprends le chemin en descente vers mon camp. De temps en temps, le ciel laisse même entrevoir un peu de bleu.

D'ailleurs, vu qu'on a un beau sentier sur cette photo, j'en profite. Je ne sais pas vraiment comment ils ont été faits, à la machine ou à la bêche, mais ils sont d'une régularité déconcertante, profondeur et largeur! Ce qui m'a beaucoup dérangé, surtout dans les prairies où ils sont plus profonds, c'est leur étroitesse : y'a juste la place pour 2 pieds et demi, ce qui m'impose de serrer mes pas et impacte l'équilibre, sans parler des chaussures qui repeignent de boue la face intérieur de mes mollets. Bref, à ces endroits là, sans sentier, ce serait plus agréable pour le randonneur, mais on supporte bien ça pour préserver la végétation.

J'arrive au camp très tôt, vers 15h30, genou droit à moitié en vrac. Une cabane de gardien, toute fermée, avec vue sur les Helmets Falls, deuxième cascade la plus haute des Rocheuses.

Le camp est vide, comme tous les soirs depuis mon départ, malgré la trentaine d'emplacements disponibles. Ça n'a pas que des inconvénients de randonner à cette saison! J'installe mon abri au pied du Limestone Peak et m'en vais me restaurer. Pour la première fois depuis mon départ, le camp est équipé de casiers métalliques.

Alors que je mange, un couple de mésangeais du Canada (ou geais gris) vient me tenir compagnie en chantant. Je n'arriverai pas à les prendre en photo, ils ne tiennent pas en place.

Petite journée aujourd'hui. Je suis au lit à 17h30, avec une bonne nuit de repos en perspective. J'ai hésité à pousser jusqu'au prochain camp...
Alors que je commence à m'endormir, je suis interpellé par un drôle de son. Comme si quelqu'un jouait de la flûte de pan. Je lève la tête, me réveille un peu pour être certain de ne pas être en train de rêver. Non, je ne suis pas fou. Ce sont en fait les geais (c'est du moins ce que j'en ai déduit, car au matin suivant, la cabane du gardien était toujours fermée et le camp vide). Ils émettent en duo des sons vraiment comparables à de la flûte de pan. Il commence à neigeoter, je m'endors sur leurs doux airs péruviens.

Parcours : 13km, +760m, -500m


J11 - Helmet Falls CG - Numa Creek CG

Rockwall X Automne

Comme souvent, les quelques flocons tombés la nuit m'empêchent de partir incognito!

Déjeuner rapide en admirant le soleil qui se lève sur le Limestone Peak et les Helmet Falls. La météo a l'air d'être de mon côté aujourd'hui! Parti tôt vers 8h, j'arrive rapidement au pied du Limestone Peak, début du fameux Rockwall trail. La journée s'annonce magnifique. Ce sera ma plus belle journée. Ce coin est beaucoup plus diversifié que les précédents en terme d'arbres: beaucoup de feuilles caduques, affichant de vraies couleurs d'automne.

Le Rockwall s'étend là, de son kilomètre de hauteur, tête dans les nuages. Je profite de cette belle lumière pour monter un filtre polarisant et un neutre (pas si neutre que ça au final...), d'où les effets de couleur différents selon la direction de la photo. Mais l'ambiance rendue est la même qu'en vrai!

Le chemin sillonne en pente douce à travers les mélèzes avant de remonter en face, pour éviter des éboulis, et arriver au col du Rockwall, marquant le premier tiers du mur.

Au fond, le Foster Peak, au pied duquel je passe demain.

A cet endroit, la montagne est fendue et offre un passage pour rejoindre le fleuve Kootenay via le col Wolverine. Dessous, le terrain est assez plat. J'adore ces prairies sub-alpines, et les apprécie encore plus à cette saison. Si j'avais eu un peu plus de liberté au niveau des camps, c'est là que j'aurais bivouaqué. On aperçoit d'ailleurs une cabane de ranger derrière la touffe d'arbres, sous le Foster Peak. Elles ne sont jamais mal placées!

A défaut d'y dormir, je prends le temps d'y passer, avant une raide descente vers Tumbling Creek. Là j'ai un peu de mal à voir où le chemin, qui continue à descendre, traverse le ruisseau. Pourtant depuis un bon moment je vois la suite en face. Je coupe à la première occasion, le niveau d'eau est bas. La remontée est vraiment très raide au départ. Quelques lacets enneigés, parfois verglacés (versant nord), dans lesquels je remarque les traces fraîches d'un homme et son chien. La pente s'adoucie et laisse profiter de la vue sur le Rockwall, dont les sommets se sont dégagés avec le soleil de l'après-midi. Toujours aussi amoureux de ces couleurs!

Ce Tumbling Pass, au pied du Tumbling Glacier, marque le deuxième tiers du Rockwall trail.

Une dernière vue sur la trace de demain, avec en contre-bas Numa Creek, ruisseau au bord duquel je dors. En face au milieu, encore enneigé, le col Numa, qui me permettra de rejoindre Floe Lake, sous la bienveillance du Foster Peak. Un des clichés les plus réussis pour moi sur cette traversée, un flou artistique pas vraiment voulu, alliant couleurs de saison et un beau panel de paysages, transcrivant mon cheminement, le tout sous une lumière de fin d'après-midi dont j'ai rarement bénéficié durant mon séjour dans les Rocheuses. On dirait une peinture.

Descente longue et raide (700m en 4.5km) pour rejoindre mon camp. Il n'est finalement pas si tard que ça, je me tâte à continuer et rejoindre le camp de demain, mais mon genou n'apprécierait pas les +800m et 11km suivants. Il commence à aller mieux, je ne veux pas le surmener. J'en profite donc pour me laver, bien manger et écrire un peu. Mon crayon à papier n'est pas super affûté. En fait j'étais à court de mine, et sans couteau, j'ai du me débrouiller avec des cailloux. D'où un truc pas génial, mais qui m'a permis d'écrire quand même.

Je monte l'abri bien au sec sous un arbre, histoire de faire sécher mon sursac pendant le repas. Avant de me coucher, je prends bien soin de mettre mes chaussures à l'abri du froid, maintenant que j'ai des sacs plastiques. Sauf que ça ne sert à rien, le mercure passe rarement sous les 0°C au bivouac depuis ma reprise...

Demain j'ai prévu une courte journée de marche, l'autre moitié (le tiers restant en fait) de l'étape d'aujourd'hui.

Parcours : 17km, +1100m, -1300m


J12 - Numa Creek CG - Ball Pass CG

Accélération X Poursuite

Ce matin je suis en forme, mon corps a vraiment bien récupéré avec cette succession d'étapes allégées. Un coup d'oeil au baromètre m'indique une pression bien basse... J'attaque dans les bois d'un pas entraîné, je me dévêtis rapidement. Avec mon système de sac à dos contre-balancé par la poche photo devant, chaque accès au sac me fait perdre 5 min, sans compter le désagrément de tout régler à nouveau. Donc j'essaie de minimiser ces manipulations, quitte à partir en claquant des dents ou à fumer comme un homard dans l'eau chaude en fin d'ascension. J'arrive à ne poser le sac que une à deux fois dans la journée. Mais j'ai de quoi améliorer le système en rentrant...

J'arrive vite aux Numa Falls et un raidillon en lacets me fait prendre 450m sur 2km, que je m'empresse d'enlever.

Le sentier longe par intermittence Numa Creek. Phénomène intéressant, ce ruisseau se trouve par endroits être très exposé au vent descendant des glaciers au-dessus. À ces endroits là, il est donc complètement gelé en surface, alors qu'en amont et en aval, ça coule toujours!

Peu avant le col Numa, la pente s'adoucit et la neige se fait plus présente. Un aigle passe au-dessus de moi, je n'ai pas le temps de sortir le télé...

A nouveau je retrouve ces traces d'homme et de chien, allant toujours dans mon sens. Mais par endroits, ces mêmes traces vont dans l'autre sens. Troublant... Je continue jusqu'au col, dans un environnement qui ne donne pas beaucoup à voir, tellement le plafond est bas! Ça souffle à 2300m. Je me couvre.

Je dévale bien, mon genou tient bon, même si je m'applique à le ménager. Car pas pal de dénivelé négatif m'attend aujourd'hui. En effet j'arrive au camp prévu pour l'étape, Floe Lake, à ... 11h. Je veux bien faire quelques journées courtes, mais faut pas exagérer. Devant moi, j'ai l'équivalent de la journée d'hier pour arriver au prochain camp... et tout l'après-midi! Il est temps d'accélérer. Je me mets en route.

Encore les mêmes traces d'homme et de chien. Je viens de passer trois jours sans voir personne, ça risque de changer d'ici peu! Je trouve des poils du chien ayant sauté par-dessus un tronc tombé sur le sentier! Je pense d'abord à un animal sauvage, c'est plus stimulant comme idée. Mais le doute (et le fantasme) est levé une heure plus tard. Je rattrape ce fameux randonneur avec son gros chien, que je poursuis depuis deux jours. Il rejoint sa voiture, garée en bas au bord de l'autoroute (sur mon chemin). Il a fait un aller-retour de 5 jours en dormant aux camps que j'ai traversés, ce qui explique enfin les traces dans les deux sens!

L'énigme est résolue, je libère mon esprit et mes jambes, je cavale dans la descente. Descente raide au début qui s'adoucit ensuite, dans une vallée qui a cramé il y a quelques années. Un peu longue d'ailleurs.

J'aperçois enfin l'autoroute 93 qui longe la rivière Vermillon, et au-dessus, le Ball Pass qu'il me faut atteindre avant ce soir.

Passage par-dessus de la rivière, qui nourrit alentour les jeunes épicéas qui remplaceront d'ici quelques années leurs ancêtres carbonisés.

Je traverse la Highway 93 et repars sur le sentier, direction Banff National Park. Y'a du dénivelé à avaler mais la pente est douce, le décor atypique.

La traversée d'un éboulis marque le début de la zone où la végétation se fait moins dense. Pas des plus agréables d'ailleurs cette caillasse. Mes pompes ne sont vraiment pas flexibles, c'est des trucs plutôt fait pour tailler des marches dans la neige. Moi qui ai l'habitude de l'amorti qu'offre la déformation de la semelle (et de la voûte plantaire) avec des chaussures plus légères, chacun de mes pas fait vibrer mon corps entier. Je commence à sentir la fatigue de la journée.

Je perds le sentier qui disparaît à la traversée d'une prairie inondable, au pied de Isabelle Peak. En cherchant mon chemin, j'aperçois trois cerfs mulet en train de m'observer, ces cervidés étranges dont la taille des oreilles dépasse celle de leur museau.

J'arrive peu après au Ball Pass, après avoir fait le plein d'eau dans un ruisseau naissant. J'entre dans le plus ancien parc national du Canada, créé en 1885. Côté Banff, le paysage est beaucoup plus minéral.

J’atteins le Ball Pass Junction campground à 18h, content de ma journée et avec vue sur une jolie prairie pour manger.

Ce camp a une particularité: ils ont entassé sur une bonne dizaine de centimètres des copeaux de pin dans les emplacements prévus pour les tentes. Pour le confort? Parce que c'est le camp le plus arrosé de tout le secteur? Certes ça sent bon, mais si c'est pour masquer les odeurs aux ours, c'est raté, ça ne rivalise pas avec mes chaussettes. J'hésite à me poser à côté, mais y'a pas des masses de place, alors j'opte pour la nouvelle expérience. Cela s’avérera très confortable, impec pour créer une petite dépression aux niveaux des hanches et des épaules (je dors beaucoup sur le côté).

Parcours : 29km, +1730m, -1420m


J13 - Ball Pass CG - Howard Douglas CG

Cols X Neige

Finalement l'étape que j'avais rajoutée à Lake Louise a été récupérée hier, on retombe donc sur le planning initial. Je me réveille à 8h, il a plu cette nuit et il pleut encore. Je me recouche une demi-heure en espérant que ça s'arrête.
Un peu trop optimiste, je finis par me lever, ranger et partir sous la pluie, après avoir récupéré ma bouffe pendue toute mouillée. Aujourd'hui, trois cols moyens et un quatrième mineur au programme! Le premier est rapidement en vue, le Whistling Pass.

Je passe à côté de Haiduk Lake avant d'attaquer le col. La pluie se transforme en neige à 2200m et le plafond relativement bas limite la vue.

La descente sur Egypt Lake est plutôt raide et caillouteuse. J'y croise 8 randonneurs en moins de 20min, à l’approche de Egypt Lake! Tous venus faire un tour à la journée (on est samedi). Banff attire indéniablement. Un groupe me dit que les prévisions météo sont favorables... Ayant du mal à les croire, ils me précisent que c'est la météo pour la VILLE de Banff...

Petite éclaircie au niveau de l'abri de Egypt Lake, avant d'attaquer la montée vers le Healy Pass.

Le sentier est bon, je mets les gaz pour rester dans les temps. Peu avant le col à 2360m, je me paye à nouveau des bourrasques de neige, jusqu'en haut. Derrière moi, Scarab Lake et Egypt Lake, d'où je viens.

Et devant... les nuages, vers lesquels je me dirige! Avec The Monarch, 2895m, dont on voit la base.

En descendant vers le sud depuis Healy Pass, on rejoint un petit vallon pas trop venté. La vue est plaisante et la marche agréable.

Juste avant de m'arrêter 10min pour manger (il continue de neiger...), je tombe sur une belle trace de loup. Pas si récente, elle a déjà bien fondu.

J'arrive à un superbe étang au nom inconnu. Le soleil est même généreux et me laisse emprisonner cet instant dans ma boîte noire ET dans mes souvenirs. En face, le Healy Pass, d'où je descends.

L'endroit est magnifique mais est déjà occupé par quelques bêtes...

Je rejoins le col Simpson, qui n'est en fait pas vraiment un col mais plutôt une sorte de 4 chemins sur la frontière provinciale.
S'ensuit une ascension à la fin plutôt raide vers les Sunshine Meadows, qui pour le coup ressemblent plus à un col que le Simpson. Pour la troisième fois aujourd'hui que je passe un col, la neige et le vent sont là pour m'accueillir.

Malgré ça, la vue très sympa, si on oublie les quelques remontées mécaniques de la station de ski Sunshine Village juste en-dessous. Sentier bien préparé pour la balade en famille. Effectivement, j'ai finalement droit à quelques "sunshines".

Je longe la ligne de partage des eaux, avec d'un côté les rivières Simpson, Kootenay et Columbia filant jusqu'au Pacifique, de l'autre Saskatchewan, Winnipeg et Neslon vers l'Atlantique. Il se remet à neiger, un aigle tourne au-dessus de moi. Tout au fond à droite, Citadel Peak et son col, où je passe demain.

Les nuages que je redoutais il y a encore quelques minutes se vident complètement aux abords du Rock Isle Lake. Dernière ligne droite avant le camp, il reste un peu plus de 4km. C'est plat, c'est tout droit, j'ai envie d'arriver, je presse le pas.

Le vent forcit et la neige transperce mon pantalon et bientôt les zones exposées de ma veste. Je scrute le terrain, cherchant le lac au bord duquel je dors, mais je ne vois aucun endroit où il pourrait être. En zoomant un peu plus sur mon GPS, quelques lignes de niveaux apparaissent et j'ai en fait un petit +150m -150m à passer. Je garde mon pas pressé et passe le petit col à bout de souffle. Je suis trempé de l'intérieur et de l'extérieur. J'arrive au camp Howard Douglas Lake après 50min de bataille. Tellement content d'arriver, d'ailleurs, que je le rate et dois faire demi-tour pour le trouver. Le panneau l'indiquant n'était que dans un seul sens...

Repas chaud sous la tente, il neige encore, et je me couche avec la veste mouillée au fond du duvet, dans l'espoir de sécher un peu...

Parcours : 28km, +1300m, -930m