Skaftafell - Récit (1)

L'essentiel du programme est fixé : exploration du coeur de Skaftafell, traversée du Skeiðarárjökull (langue glacière la plus large d'Europe) et descente de la vallée de la Dupja. Départ le 24 juillet.

Jour 1

Détour de dernière minute

Le réveil est un peu laborieux. Il est 9h, le soleil tape depuis déjà 2h sur l'abri, qui malgré un montage bien aéré, est devenu une étuve. Atterris hier soir, le temps de rejoindre le camping de Reykjavik, nous nous sommes couchés vers 3h (5h en France). Nous devons faire quelques courses avant de partir pour des contrées plus sauvages. La majeure partie de nos 10 jours de provisions vient de France, mais il nous faut encore acheter de l'alcool à brûler et faire le plein de chips et chocolat.

Un coup d'oeil rapide à la météo avant de décoller nous a fait changer de plan à la dernière minute. Nous sommes lundi, le beau temps à Skaftafell n'arrive que jeudi, alors que la région de Skogar est, elle, sous le soleil. Nous filons donc au BSI attraper le bus de 16h qui nous déposera à Thorsmörk. L'idée derrière ça : terminer la dernière portion du Laugavegur, que nous avions entamée deux ans auparavant, et rejoindre Skogar.

Nous arrivons au camping de Thorsmörk (Langidalur, plus joli que Basar à mon goût et plus cosy que Husadalur, ce dernier étant le plus fréquenté) avec les premiers rayons de soleil de la soirée, après avoir passé une après-midi pluvieuse dans le bus. C'est bon de se retrouver là ...

Jour 2

Sur les chapeaux de roues

Soleil radieux, pas un nuage dans le ciel, idéal pour passer le Firmmvordurhals, ce col qui relie deux volcans agités, Katla et Eyjafjall. D'ailleurs, c'est en compagnie d'Enric, un catalan, que nous y montons.

1000m de dénivelé à enlever, avec les sacs remplis à bloc : entre 11 et 13 kg sur le dos. Rien de tel pour se mettre en jambes. La lumière est dure, pas très propice à la photo, mais l'environnement est tellement immersif qu'on oublie volontiers l'appareil. De temps en temps, un nuage passe, un troll montre son visage.

Notre raide ascension est interrompue par un plateau; un endroit comme on en voit rarement, d'une platitude quasiment parfaite. Au milieu de ces pentes répondant au nom évocateur de Godaland (la terre des dieux), on s'imagine aisément que ce lieu a été taillé d'une main divine.

Au bout de ce plateau, un petit pont naturel, lui aussi gardé par les trolls, nous mène au pied du dernier raidillon. Un nuage profite de ce moment là pour venir jouer avec le soleil, et rendre encore plus impressionnants les deux vallons qui plongent autour de nous.

L'altimètre se remet à grimper et on atteint assez vite la neige, d'où émergent les cratères sortis de terre en mars 2010, lors de l'éruption sous l'Eyjafjallajökull. Deux jeunes monticules, hauts de 30m, font ici la tête d'affiche, au milieu de cette étendue de neige.

Nous nous écartons du chemin pour aller fouler ce sol qui n'existait pas il y a quelques années. La pierre, noire et rouge, n'est pas spécialement chaude. Mais on sent une chaleur douce nous entourer, comme si nous marchions sur un plancher chauffant. On réalise à quel point la croûte terrestre doit être fine à cet endroit.

Depuis cette zone, on aperçoit au loin le refuge de Fimmvörðuhálsskáli. Rares sont les jours où il est visible, et nous avons la chance d'être hors des nuages. Après avoir rejoint le col, nous souhaitons un bon retour à Enric, qui passe la nuit ici, et descendons direction Skógar. Le principal intérêt du début de cette descente, c'est la mer, qui marquera notre horizon durant toute l'après-midi. Au loin, les îles Vestmann.

On rejoint assez rapidement la Skógá et ses 23 chutes d'eau successives.

La fatigue commence à se faire sentir dans les jambes. Skógar n'est plus très loin, nous devons y attraper un bus pour rejoindre Skaftafell. Sans manquer, bien entendu, de passer par Skógafoss !

En attendant le bus de 19h, nous discutons un moment avec une islandaise. Bien plus avenante que la réceptionniste du camping ... Elle nous donne la météo de Skaftafell : très correct demain, puis grand beau pour les 4 jours suivants. Les dieux nordiques sont avec nous !

4h plus tard, nous sommes au pied du Vatnajökull.

Jour 3

La fuite

Ça grouille de monde ici. Le réceptionniste nous a dit hier soir que, cette année, le camping de Skaftafell bat des records d'affluence. C'est la conjonction d'un tourisme qui s’accroît chaque année, et d'une météo très favorable, qui incite aussi les islandais à venir prendre l'air. Ça parle dans toutes les langues, mais on entend beaucoup de français, d'allemands et d'espagnols. On est loin de la promiscuité du camping de Reykjavik, mais les voisins ne sont pas loin. Nous levons le camp et partons pour 7 jours de promiscuité avec la nature.

Passage rapide par Svartifoss. La lumière est rude, alors je me concentre sur des plans serrés de la roche qui constitue les murs cette cascade. La vie s'y accroche.

Et puis on quitte définitivement la foule, vite. A quelques mètres de là, le paysage redevient sauvage. Un pluvier doré (Pluvialis apricaria) nous informe très sonorement de sa présence, sans quoi nous serions passés à côté sans même le voir.

Le temps devient lourd. Quelques épilobes arctiques égayent le tableau. Grain en approche.

Nous faisons une pause déjeuner au bord de la Morsá avant d'attaquer l'ascension vers Blátindur. Un long chemin qui traverse des paysages aussi variés que beaux. A commencer par une jungle, nommée Baejarstaðarskógur. Une jungle boréale, certes, avec des essences qu'on ne trouverait pas sous les tropiques, mais littéralement, une jungle. Les angéliques nous dépassent, les épilobes sont à hauteur d'épaule, les saules et les bouleaux nains atteignent les 6 mètres. Et puis c'est dense !

Tellement dense, que nous passons à côté du chemin. Trois fois. Il faut avouer qu'il n'y a pas vraiment de chemin. Quelques herbes couchées marquent le passage de précédents randonneurs. Il faut faire sa trace, aller au plus logique dans ce dédale de végétation sans logique.

On finit tant bien que mal par sortir de la forêt et respirer un peu. Les arbres libèrent doucement la vue, découvrant le panorama sur le Skeiðarásandur, la plaine proglaciaire la plus étendue au monde (1350 km²). Un lieu désert, balayé par les jökulhlaups à répétition.

Devant nous, le vallon s'ouvre également. Un semblant de sentier se dessine, avant de disparaître quelques pas plus loin. Il faut naviguer à vue, ce qui rend le cheminement d'autant plus palpitant !

Lorsqu'un ravin se présente, on analyse, on fait des suppositions sur ce qu'on trouvera derrière, d'après la carte. Vaut-il mieux le contourner ou le traverser, au risque de se retrouver bloqué derrière ? Rester sous les pentes de Stóri-Bláhnúkur semble être le plus agréable. D'autant plus que le soleil commence à tomber, et que nous voyons nos chances d'atteindre le sommet aujourd'hui s'amoindrir. La lumière se faisant de plus en plus douce, l'optique de devoir rester dans ce vallon encaissé ne nous ravit pas. Qu'à cela ne tienne : prenons un peu de hauteur !

Le flanc ouest de Stóri-Bláhnúkur n'est pas facile à grimper : une pente atteignant les 40°, recouverte d'un tapis de roche fracassée, d'une épaisseur plus ou moins importante et d'une stabilité assez hasardeuse. Notre premier essai d'atteindre la crête est un échec : la pente s'accentue trop sur la fin. Plus loin, nous arrivons à trouver un cheminement moins raide, où le sol terreux affleure et permet de se faire quelques marches. Irina rassemble toutes les forces qui lui restent pour vaincre son appréhension du vide. La pente s'arrondie, la crête est à portée de main, la vue s'ouvre, nous y sommes.

Le vent souffle, il fait frais. Alors on s'habille pour survivre à l'heure que nous allons passer là. Le privilège d'être là, seuls, devant ce théâtre à ciel ouvert, nous fait oublier l'inconfort (très relatif) de la situation. Devant nous, le Vatnajökull est en train de se faire arroser des derniers rayons de soleil.

Le soleil s'enfouit dans les nuages, il est temps de redescendre. Le retour au plancher des vaches est délicat mais moins physique que la montée. Nous sommes vite en bas et trouvons un coin à peu près plat, juste à côté d'une source, pour poser le bivouac. Ce rythme de la lumière du jour, ces couchers tardifs du soleil, nous décalent complètement : il est 23h, nous nous mettons à table.

Jour 4

Doute et joie

4h, le réveil sonne. Je lève la toile pour jauger la météo : couvert. Nous nous sommes mis en tête hier soir de monter vers Blátindur avec les premières lueurs de l'aube. Mais là, ça vaut pas le coup. Je me rendors.

6h, même scénario. Enfin, à 8h, nous remettons la machine en marche. La pluie s'est invitée durant nuit, mais le vent a séché la toile depuis.

Même progression à vue qu'hier : on évalue le passage des ravins au mieux, en fonction de leur longueur et de leur profondeur. L'absence de brouillard facilite grandement notre cheminement.

Nous sommes finalement assez vite au pied de Blátindur, alors qu'il commence à pleuvoir. Il est 11h30, nous décidons de monter l'abri, ne serait-ce que pour laisser passer l'ondée et manger au sec et, surtout, protégés du vent. Notre objectif de la journée, et d'ailleurs même une des motivations principales de notre venue à Skaftafell, c'est Kjós. Kjós, c'est ce vallon caché au fond de la Morsárdalur. Un monument de géologie, une merveille de la nature comme on en voit peu ailleurs. Mais pour l'instant, la météo n'invite pas à aller plus loin.

La pluie se calme, que fait-on ? Garder notre camp de base et explorer les alentours ? C'est une bonne idée, mais il faut descendre pour s'approvisionner en eau. Nous sommes juste sous un névé qui ne coule pas en surface. Par contre, le sol est détrempé. Je creuse un peu pour former un bassin, génial : il se remplit d'eau. Y'a plus qu'à laisser décanter pour avoir de l'eau propre à portée de main :) Je me relève et vois sur la crête au-dessus de nous une silhouette humaine, qui me fait signe de la main. Il descend vers nous.

Le peu de personnes qui traînent dans ce coin ont généralement un intérêt commun : le Skeiðarárjökull. Ce glacier, ou plutôt ce bout de glacier, représente une des plus large langue glaciaire au monde : 7 km au plus étroit. Géographiquement, il constitue le passage le plus court pour relier la région de Skaftafell à celle de Graenalón, voire, en continuant, les cratères du Laki. Un cheminement élégant pour traverser, dans sa largeur, le sud de l'Islande. Mais ce glacier possède une particularité qui le rend compliqué à arpenter : ses forêts noires. Ces zones, appelées "forêt noire" ou "black forest" du fait de leur apparence, sont des parties du glacier qui ont été recouvertes de cendre (noire ...) par les précédentes éruptions (principalement Grimsvötn). On les distingue très bien sur une carte aérienne. La couche de cendre protégeant la glace du soleil, la glace fond de manière inégale, donnant naissance, après plusieurs décennies, à une multitude de cônes noirs, plus ou moins juxtaposés. De la même manière que l'eau érode la terre, elle fait fondre la glace, créant un relief local, des collines de glace. Leur densité par endroit leur a valu ce surnom de forêt.
Plusieurs itinéraires existent pour traverser le Skeiðarárjökull, mais le glacier étant en perpétuel mouvement, ils changent tous les ans. Certains randonneurs évitent à tout prix de pénétrer ces zones de forêt noire, en les contournant par le sud; d'autres les traversent, en prenant un itinéraire plus direct, légèrement au nord. David, qui a traversé ce glacier en 2009, était passé par le sud de la forêt noire. C'est l'itinéraire que nous avons envisagé, avec quand même, sur le GPS, un itinéraire alternatif passant plus au nord, datant de 2012.

Markus arrive jusqu'à nous. Il ne s'attendait pas à voir une tente ici, surtout en pleine journée. Il commence à nous raconter son histoire, et moi, dans le même temps, à me décomposer. Lui et un ami sont partis il y a 4 jours de Skaftafell pour traverser le Skeiðarárjökull, puis continuer vers l'ouest sur le Siðujökull, jusqu'à Langisjor. Plus ambitieux que nous encore. Seulement, arrivés au milieu du glacier, ils ont tourné en rond, se sont retrouvés perdus dans cette forêt noire, entourés de crevasses, à chercher leur chemin. "Lorsqu'on escaladait une de ces collines, pour prendre de la hauteur et chercher notre chemin, apparaissaient derrière de nouvelles collines noires sur plusieurs centaines de mètres", nous dit-il. Sa voix et les traits de son visage retranscrivent toute l'inquiétude qu'il a accumulée durant cette virée. La nuit tombant, ils ont bivouaqué sur le glacier, pour faire demi-tour ce matin, abandonnant ainsi leur long périple. L'itinéraire qu'ils ont suivi est celui au nord, sur les conseils d'un guide local. Thomas, l'ami de Markus, avait déjà traversé avec succès le glacier il y a 4 ans, par le sud.
Cette histoire me met le doute. Il faut au moins essayer. Essayer, c'est certain. Mais par quel itinéraire ? Nous étions décidés pour le sud. Un guide leur a conseillé le nord, et ils se sont plantés ... Nous verrons demain.

Pendant qu'Irina fait quelques images en-bas, je monte sur la crête en repérage. Les nuages sont bas, mais dès que la vue se dégage, c'est spectacle garanti !

Au pied de la montagne vient s'échouer une des branches du Skeiðarárjökull.

Je repère la ligne de crête qui mène jusqu'aux pentes de Kjós. Ça n'a pas l'air loin, 30 min max. Je redescends chercher Irina.

Nous laissons tout ce qui est lourd sous la tente et partons avec tout le matos photo rejoindre les crêtes de Kjós. Entre-temps, le brouillard s'est installé : 30m de visibilité tout au mieux.

Une demi-heure plus tard, nous y sommes. Nous distinguons, à travers le nuage au milieu duquel nous sommes, une partie des lignes et des couleurs qui parent les flancs de la vallée, juste en-dessous de nous. Le vent a la bonne idée de ne pas abuser de notre patience, et quelques minutes plus tard, il vient définitivement ouvrir le rideau de ce théâtre.

La lumière tombe peu à peu, le parcours de crête pour rejoindre notre bivouac est un plaisir.

Nous avons eu la chance de voir Kjós sous une lumière exceptionnelle. Maintenant, c'est sur le Skeiðarárjökull que le soleil se couche, illuminant au fond notre destination d'après demain, Graenalón.

Retour au bivouac pour un repas aux premières loges.

Jour 5

Par le nord ???

Le temps est magnifique au levé, mais se couvre assez vite. Nous retournons sur les hauteurs de Kjós pour photographier la vallée sous une lumière différente.

Le ciel s'ouvre doucement. Lumière moins chaude, mais moins crue et plus homogène qu'hier.

Marche arrière à nouveau sur la crête pour aller faire un tour au sommet de Blátindur. Depuis cette crête, l'accès est assez aérien. Des deux côtés, la pente plonge comme une avalanche de roche brisée.

Il faut enfin basculer en face nord pour accéder au sommet, en se frayant un chemin sur ce tapis roulant. C'est physique, mais la vue vaut le détour.

Retour sur un endroit plus large et moins venté pour casser la croûte. En contrebas, un homme est en train de remonter jusqu'à nous. Il lutte contre la gravité, tant la pente est raide par endroits et son chargement important.

C'est Thomas, le compagnon de voyage de Markus, qui tous deux ont abandonné leur traversée du glacier. Il s'étonne de voir nos sacs si compacts. On parle pas mal de matos léger. Et puis il remet une couche sur leur choix d'itinéraire sur le glacier : "Passez par le sud, le nord, c'est impraticable". Même son de cloche que Markus, forcément, mais lui a déjà traversé le glacier 4 ans auparavant. Tous les signes que nous avons jusque là (Bigfoot, eux ...) renforcent notre choix d'itinéraire : passer au sud de la forêt noire semble être la bonne solution. Avec les idées claires, nous partons rejoindre le bivouac au bord du Skeiðarárjökull.

Il n'y a pas de chemin ni de cairn. Tout se fait à vue, avec de temps en temps, lorsque les possibilités de cheminement s'amoindrissent, des marques de passage évidentes au sol. Au-dessus de nous s'alignent les formes effilées de la crête est du Nyrstitindur. En-dessous, les ravins finissent tous par disparaître sous la glace. Un parcours à la fois ludique et spectaculaire, dans lequel on touche vraiment de près la nature sauvage de l'Islande.

La fin de ce crescendo, c'est l'arrivée au bord du Skeiðarárjökull, qui marque le point d'orgue. Pas l'orgue qui tient dans une armoire, mais celui qui remplit un quart de cathédrale ; celui qui fait vibrer le corps. Nous stoppons net notre foulée. Plus un mot, plus un son.

Comme s'il avait été taillé de la main des hommes, un petit plateau perché à 100m au-dessus du glacier sert ici de place de bivouac à ceux qui traversent le glacier. De chaque côté et en-dessous de nous, les moraines se sont transformées en ravins, que l'eau fondant des névés encore accrochés au flanc de Nyrstitindur emprunte pour rejoindre les abords du glacier. Trois lacs d'un bleu opaque bordent les premières crevasses, d'où se sont séparés quelques icebergs en perdition. Au-delà de ce rivage figé, une couverture de glace striée de cendre s'étend sur des kilomètres. Par endroits, ces stries se sont transformées en formes circulaires, traduisant à sa surface le mouvement chaotique du glacier. Au loin, on discerne une masse dense, sombre et, vue d'ici, impénétrable : la forêt noire.
Le vent s'est levé, dégageant le ciel de ses nuages. Il faut y être pour le vivre. Tout semble à la fois doux et menaçant. Je ne saurais dire si c'est d'excitation ou de peur, certainement un peu des deux, mais peu importe : cet endroit me donne la chair de poule.

Nous sommes les premiers à arriver au bivouac, vers 17h. Alors que je monte la tente pour nous protéger du vent qui a redoublé de puissance, deux suisses des Alpes bernoises, la cinquantaine passée, nous rejoignent. Nous les avions aperçus en train de faire leurs derniers pas sur le glacier. Fritz et Katharina ont fait aujourd'hui ce que nous planifions de faire demain, dans le sens inverse. Ils sont partis de Graenalón ce matin, en avance sur un autre groupe d'une dizaine de personnes accompagné d'un guide islandais. Curieux d'obtenir quelques informations supplémentaires pour notre traversée, je leur demande quel itinéraire ils ont suivi.

"— Par le nord, me répond Fritz, d'un ton très posé et serein.
— Par le nord ???
— Oui
— Et la forêt noire ?
— On est passé au travers.
— Et les crevasses ne vous ont pas posé de problèmes ?
— Non, nous n'en avons pas vu. Du moins, elles n'étaient pas assez grandes pour qu'on ne puisse pas les contourner."

Le flegme avec lequel il me répond tranche avec l'émotion des allemands qui ont abandonné. Je lui fais part de ma stupéfaction et lui raconte notre rencontre avec Markus et Thomas, et leur échec. Il m'explique alors comment s'est passée leur traversée. C'est le guide islandais qu'ils ont croisé à Graenalón qui les a conseillés. Katharina me montre leurs photos. En effet, ça passe. La route n'est pas exempte de difficultés, loin de là, mais au moins, nous savons que c'est faisable.

Entre-temps, le groupe accompagné du guide est arrivé. Fritz lui raconte leur traversée. D'une oreille curieuse, j'écoute un peu. J'apprends que Fritz n'en est pas à ses premiers pas sur la glace et pratique beaucoup avec le Club Alpin Suisse. Je comprends d'où vient cette confiance qu'il inspire : l'expérience. A mon tour, je discute un peu avec le guide, et lui demande son avis sur l'itinéraire passant par le sud. Son front se plisse. "Ça passait il y a quelques années, mais récemment, j'ai cherché à y revenir et ça passe pas. On se met dans les crevasses et on n'en sort plus. Il faut passer très au nord, à travers la forêt noire". Malgré tous ses conseils, l'échec de Markus et Thomas me force à rester vigilant : c'est encore loin d'être gagné. Mais la décision est prise : nous passerons par le nord.

La lumière s'adoucit, il est à nouveau temps d'aller chercher l'appareil.